Surclassant nettement les systèmes hérités de l’époque soviétique, en termes de mobilité, précision et portée, il est devenu, en quelques mois, le cauchemar des artilleurs russes, selon leurs propres mots.
Depuis, de nombreux autres systèmes automoteurs occidentaux, du Pzh2000 allemand au M109 américains, ont été livrés à l’Ukraine. Toutefois, de récentes statistiques, émanant de documents internes aux armées ukrainiennes, montrent que le CAESAR surclasse, en de nombreux aspects, ces autres systèmes, au point de mettre en évidence certaines faiblesses conceptuelles qui, aujourd’hui, tendent à faire évoluer les expressions de besoin des armées dans ce domaine.
Sommaire
Automatisation et blindage, au cœur des expressions de besoin concernant les systèmes d’artillerie mobile, jusqu’ici
En effet, avant la guerre en Ukraine, certains critères apparaissaient presque systématiquement dans les besoins exprimés par les forces armées, concernant l’acquisition de nouveaux systèmes d’artillerie mobile.
L’automatisation de la chaine de tir, et notamment les systèmes de chargement automatique de l’obus et des charges, représentait l’essentiel des demandes, de sorte à garantir des cadences de tir élevées, avec un équipage réduit. En outre, les modèles proposant une tourelle blindée, pour protéger les équipages, étaient privilégiés dans les appels d’offres, et les critères de compétition.
Bien évidemment, ces deux critères nécessitent des systèmes lourds, avec des plateformes chenillés, ou des porteurs 8×8, voire 10×10, souvent au détriment de la mobilité.
Dans ce contexte, le CAESAR français, un système d’à peine 17 tonnes en masse de combat, monté sur un camion 6×6, doté d’un système de chargement semi-automatique et dépourvu de tourelle protégée, était perçu, la plupart du temps, comme une anomalie, ayant tout sacrifié à l’aérotransportabilité, et surtout destinée aux théâtres de moindre intensité.
Les enseignements en Ukraine sur l’efficacité des systèmes d’artillerie mobile occidentaux
Dans le domaine de l’artillerie, la guerre en Ukraine a profondément bouleversé de nombreuses certitudes, souvent héritées des doctrines de la guerre froide. Et le CAESAR français, premier système de conception occidental à avoir rejoint les armées ukrainiennes, à l’été 2022, et les performances de combat que ce système atypique a démontré depuis, y est pour beaucoup.
Le tube de 52 calibres s’impose pour la survivabilité des systèmes d’artillerie mobile
En premier lieu, cette guerre a démontré l’importante plus-value des systèmes d’artillerie équipés d’un tube de 52 calibres, sur les systèmes équipés d’un tube de 39 Calibres. Bien que s’usant plus rapidement, ces tubes permettent d’atteindre des objectifs à 32 km avec des obus classiques, plus de 40 km, avec des obus planants, et plus de 50 km avec des obus à propulsion additionnée, contre respectivement 22, 25 et 33 km, pour les tubes de 39 calibres.
Pour rappel, les « calibres » représentent la longueur du tube exprimée en fonction du diamètre de son tube. Ainsi, un tube de 155 mm/ 52 calibres, à une longueur de 8,06 m, contre 6,05 pour un tube de 155 mm/ 39 calibres. Plus le tube est long, plus l’obus bénéficiera longtemps de la poussée, liée à la compression des gaz lors de la propulsion, et de l’onde de choc qui la précède, et donc, plus il aura une vitesse initiale élevée à la sortie du tube, pour une portée, de fait, accrue.
Pour autant, il semble que ce surplus de portée, ne soit que rarement employé par les armées ukrainiennes. Ainsi, les statistiques indiquent que moins d’un tir sur 5 du CAESAR, emploie 5 ou 6 charges explosives, précisément pour atteindre la portée maximale.
En Irak, la Tass Force Wagram tirait 70% de ses obus avec 5 ou 6 charges, donc à portée maximale. En outre, la distance moyenne de la ligne d’engagement, lors de tirs, se situe entre 10 et 15 km, ceci expliquant, notamment, une grande partie des pertes de CAESAR, frappés par des munitions rôdeuses russes.
On peut s’interroger sur la faible utilisation de la portée maximale de tir des CAESAR en Ukraine. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées, à ce sujet, comme la persistance des doctrines soviétiques dans l’organisation du feu d’artillerie au sein des armées ukrainiennes. Il est également possible que Kyiv privilégie des tirs de moindre contrainte sur le tube, pour en étendre la durée de vie.
Il est toutefois surtout probable qu’il s’agisse d’une contrainte liée à la grande diversité des obus acceptés par le CAESAR, le faisant qualifier par les Ukrainiens de « système d’artillerie omnivore », alors que certains obus, comme les obus américains conçus pour le M109 de 39 calibres, peuvent imposer des limitations, concernant la puissance de la charge explosive dans le tube de 52 calibres.
Les systèmes de chargement automatique nécessitent un important surcroit de maintenance, entrainant une hausse de 40 % des immobilisations
Plébiscités avant le conflit par les armées occidentales, les systèmes de chargement automatique, qui équipent notamment le Pzh2000 allemand, l’Archer suédois et le Zuzana slovaque, se sont avérés plus fragiles que prévu, lors d’une utilisation opérationnelle intense.
De fait, ces trois systèmes affichent des taux de disponibilité particulièrement faible, au sein des armées ukrainiennes, autour de 25% à 30%, pour le PZH2000, l’Archer, et encore moins pour le Zuzana.
À l’inverse, les systèmes à chargement semi-automatique ou manuel, affichent une meilleure disponibilité, autour de 50% pour l’AS90 britannique, et le M109, et même au delà le Krab polonais. Le Caesar, quant à lui, avec son système de chargement semi-automatique, atteint une disponibilité 60 % supérieure à celle du Pzh2000.
Il s’avère que ces systèmes automatiques, alourdissent sensiblement les procédures de maintenance, et se révèlent un point de fragilité significatif au combat. Paradoxalement, ils n’offrent pas de performances supérieures au combat. Ainsi, le record de nombre de tirs en une journée, pour un seul système, est codétenu par le Pzh2000 et le CAESAR, avec 160 tirs.
L’artillerie sous casemate représente une faiblesse face aux drones, sans plus-value importante en termes de protection
Autre certitude, taillée en brèche par les enseignements de la guerre en Ukraine, la casemate de protection des pièces d’artillerie et des équipages, ne semble pas apporter de regain de protection ou de survivabilité notable.
En effet, les pertes enregistrées des systèmes équipés de casemate, comme le M109 avec un taux d’attrition autour de 20%, le Krab, pour un taux d’attrition proche de 30%, tout comme le Zuzana, sont toutes supérieures à celles du système sans casemate, avec un taux d’attrition inférieur à 10%, en données publiques.
En particulier, l’artillerie sous casemate tend à isoler l’équipage de son environnement direct, ce qui l’empêche, souvent, de détecter le bruit caractéristique des drones d’attaque et munitions rôdeuses, permettant d’anticiper la menace.
À ce jour, seul le Pzh2000 n’a souffert d’aucune perte. Il est, cependant, beaucoup moins présent sur la ligne d’engagement, et son prix élevé amène les Ukrainiens à moins les employer en zone de forte intensité. Il est donc difficile d’en tirer des conclusions fiables.
Les délais de réarmement et de formation des équipages, deux nouveaux besoins critiques
Si les expressions de besoins, avant la guerre en Ukraine, s’attachaient principalement sur l’automatisation de la chaine de tir, et la protection passive des équipages et de la pièce d’artillerie, de nouveaux facteurs, critiques, ont été mis en évidence, durant celle-ci.
Ainsi, les délais et la facilité du réarmement su système, sont devenus des critères majeurs, aujourd’hui, pour évaluer l’efficacité d’un système d’artillerie mobile. De nombreuses pertes ont, en effet, été enregistrées lors de cette phase qui mobilise plusieurs véhicules, et qui se détecte donc facilement, vue du ciel, par un drone de reconnaissance, ou une munition rôdeuse.
L’autre facteur, plus spécifique à l’Ukraine, concerne la facilité d’utilisation, et les délais de formation nécessaires pour rendre un équipage opérationnel, à bord du système. Ainsi, il ne faut qu’une semaine pour transformer un équipage sur CAESAR, et moins de deux semaines, pour former un équipage composé de conscrits, sur le système français, qui a précisément été conçu, pour alléger toutes les opérations techniques, notamment en matière de tir.
Mobilité, compacité et discrétion, des paramètres clés pour la survie des systèmes d’artillerie mobile
Si le blindage n’apporte pas la plus-value escomptée, en termes de survivabilité, l’association de trois critères, la mobilité, la compacité et la discrétion du véhicule, a montré son efficacité en Ukraine.
Ceux-ci permettent, notamment, de quitter rapidement une zone de tir, avant que des drones, voire un tir de contrebatterie adversaire, n’arrivent sur les lieux. En outre, un véhicule compact est beaucoup plus facile et rapide à camoufler, ou à cacher sous la canopée ou dans la végétation, là encore, pour éviter la détection par drones.
La discrétion recherchée, aujourd’hui, va bien au-delà du seul spectre visible, et s’applique aussi bien au spectre infrarouge, et aux émissions électromagnétiques, susceptibles de révéler la position du système d’artillerie.
Le Caesar surclasse les autres systèmes d’artillerie occidentaux en Ukraine
On comprend, de ce qui précède, que l’épreuve du Feu, en Ukraine, a sensiblement fait évoluer la perception des besoins en matière d’artillerie mobile, pour de nombreuses forces armées.
Ainsi, le CAESAR français, qui était majoritairement perçu comme un système d’artillerie trop léger et trop faiblement protégé, pour un engagement de haute ou très haute intensité, a démontré des qualités propres uniques, en faisant l’un des systèmes d’arme les plus efficaces aux mains des Ukrainiens, aujourd’hui, et le plus redouté, par les armées russes.
Les performances du CAESAR en Ukraine, ne sont pas passées inaperçues, au-delà des seules armées ukrainiennes et françaises. Ces derniers mois, le système a été retenu par deux pays baltes, l’Estonie et la Lituanie, par la Croatie, l’Arménie et la Belgique, alors que d’autres pays, dont la Finlande et l’Espagne, s’y intéressent de près, pour moderniser ou durcir leur artillerie, dans un contexte presque exclusivement de haute intensité.
Le meilleur compromis en termes de technologies embarquées, et de rusticité
Ainsi, ce qui pouvait apparaitre initialement comme une faiblesse, comme le système de chargement semi-automatique, s’avère, à l’usage, un arbitrage très efficace en termes de technologies embarquées, tout en respectant l’indispensable rusticité des systèmes de première ligne, ne pouvant évoluer dans un environnement préservé, comme lors des essais en polygone de tirs.
De toute évidence, le CAESAR a été conçu pour pouvoir être employé de matière intensive, au combat, en acceptant une large palette de munitions, et en automatisant ce qui pouvait l’être, sans venir alourdir la maintenance du système.
Ainsi, si le Pzh2000 peut se présenter comme le Tigre de l’artillerie moderne, le Caesar s’apparente bien davantage au T-34/85 dans ce domaine, un système offrant des performances très élevées, mais d’une grande rusticité, pour résister aux difficiles conditions d’utilisation au combat, dans la durée.
Un système précis, mobile, facile à dissimuler et à mettre en œuvre
L’équilibre de conception du CAESAR, trouve spécialement son application dans l’efficacité du système, au combat, qui n’a strictement rien à envier au Pzh2000, un système pourtant 4 fois plus cher, et 40 % moins disponible.
Non seulement celui-ci s’avère-t-il aussi précis, et doté d’une portée et d’une cadence de tir réelle, équivalentes au système d’artillerie allemand, mais sa mobilité et sa compacité, permettent de le mettre en œuvre dans des zones de danger dans lesquelles le PZH ou l’Archer, ne s’aventureraient pas.
La rusticité du CAESAR s’étend à son utilisation, alors qu’il faut moins de deux semaines pour former un équipage de conscrits, à son utilisation, ce qui représente un critère clé, pour les armées ukrainiennes, qui font face à d’importantes tensions dans le domaine de la formation de leurs ressources humaines, principalement composées de conscrits et de mobilisés.
Une alternative économique et efficace, au retrait inévitable de l’artillerie tractée
Car le dernier atout indiscutable du CAESAR, sur les autres systèmes occidentaux, n’est autre que son prix. Avec un prix unitaire autour de 3 m€ pour le Caesar 6×6, ou 4 m€ pour le Caesar MkII, le CAESAR coute sensiblement le même prix qu’un système tracté complet, comme le M777, aux performances beaucoup plus limitées, et beaucoup moins que les autres canons automoteurs, y compris sur roues.
Alors que la densité de feu représente, à nouveau, un enjeu stratégique pour les forces terrestres, le système français, comme les systèmes qui s’en sont inspirés, tel l’Atmos israélien, et le PCL-181 chinois, peuvent représenter une alternative économique et très efficace, au remplacement des canons tractés, qui formaient l’essentiel de la puissance de feu, il y a peu encore, pour de nombreuses armées, mais dont la faible mobilité entrainera l’inexorable retrait, dans la décennie à venir.
Conclusion
On le voit, de manière évidente, le CAESAR français, s’impose comme le système d’artillerie le plus efficace en Ukraine, qu’il soit comparé aux systèmes soviétiques, russes, ukrainiens ou occidentaux. Ces performances, et son prix d’achat et d’utilisation très attractifs, expliquent le regain d’intérêts qu’il a engendré, ces derniers mois, y compris en Europe.
Pour autant, il ne faut pas s’attendre à une transformation radicale de l’artillerie occidentale, vers les paradigmes hérités de l’expérience CAESAR. En effet, comme le montre les contrats en cours de négociation en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne et même aux États-Unis, si la suprématie de la chenille n’est plus absolue dans ce domaine, les systèmes beaucoup plus lourds et onéreux, préservant notamment la casemate blindée et la chaine de tir entièrement automatisée, continuent d’être plébiscités par les grandes armées occidentales.
Ainsi, le nouveau RCH-155 de KNDS, a déjà séduit l’Allemagne et la Grande-Bretagne, et fait office de favori dans d’autres compétitions, y compris pour l’US Army, alors même qu’il coute le prix de 4 CAESAR NG, et qu’il s’appuie sur la même chaine automatique de tir que le Pzh2000, qui a montré ses faiblesses en Ukraine.
Il est donc probable qu’en dépit de son efficacité opérationnelle, le succès du CAESAR, ne s’étendra pas à ces grandes armées, tout du moins, dans les années à venir, le temps que les retours d’expérience, venus d’Ukraine, infusent dans les états-majors.
C’est peut-être déjà le cas en Pologne, le CAESAR ayant positivement impressionné les militaires polonais, lors des évaluations réalisées dans le pays il y a quelques jours, en enregistrant un tir réussi de précision à 42 km avec un obus BONUS. Polonais qui sont, d’ailleurs, en première ligne pour recevoir les retours d’expérience venus d’Ukraine…
Thibault Normand a participé à la rédaction de cet article.
Article du 23 octobre en version intégrale jusqu’au 7 décembre 2024
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نشر الخبر اول مرة على موقع :meta-defense.fr بتاريخ:2024-12-01 12:10:00
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