Ces certitudes, il est vrai, étaient très confortables, pour les militaires comme pour les industriels, puisqu’il s’agissait d’appliquer, à l’identique, les mêmes recettes qui firent le succès du F-15 puis du F-22, par le passé. Elles ont pourtant été remises en question par certains, comme Will Roper, lorsqu’il dirigeait les acquisitions de l’US Air Force de 2019 à 2021.
Pour le Dr Roper, l’accélération du tempo technologique engendré par le retour de la compétition stratégique entre super-puissances, ne permettrait bientôt plus de concevoir des super-avions de combat, hors de prix, pendant une ou deux décennies, la perception technologique et opérationnelle, au moment de sa conception, n’étant tout simplement plus d’actualité, lors de son entrée en service.
Si Will Roper a eu raison trop tôt, cela n’aura probablement pas été de beaucoup. En effet, le Secrétaire à l’Air Force Frank Kendall, vient de donner certaines précisions, sur les causes profondes ayant entrainé une nouvelle réflexion sur le futur de l’aviation de chasse de l’US Air Force, et les différentes déclarations faisant peser un doute croissant sur l’avenir du programme NGAD, depuis un mois maintenant.
Selon lui, s’il est certain du développement, à plus ou moins long terme, du programme NGAD lui-même, il est beaucoup moins affirmatif, concernant le fait que celui-ci sera bien articulé autour d’un avion de chasse piloté.
Pour Frank Kendall, le programme CCA de drones de combat est très largement prioritaire face au programme NGAD
En effet, pour le Secrétaire à l’Air Force, au-delà des considérations budgétaires importantes qui entravent l’exécution de l’ensemble des programmes de l’USAF, le programme de drones de combat collaboratifs, désigné par l’acronyme CCA (Collaborative Combat Aircraft), est non seulement prioritaire, face au NGAD, mais il conditionne, aussi, l’avenir et les choix technologiques et structuraux, qui définissent le chasseur de 6ᵉ génération américain.
En effet, pour l’US Air Force, les drones collaboratifs, qu’ils soient d’attaque, de reconnaissance ou de type Loyal Wingmen, représentent, à présent, la seule réponse possible face au défi opérationnel et technologique posé par la Chine et l’Armée Populaire de Libération, autour de Taïwan.
Par ailleurs, les avancées rapides constatées dans les domaines de la détection, y compris en matière de contre-furtivité, de la défense aérienne, ainsi que les engagements coopératifs réalisés par les Forces aériennes chinoises, obligent à repenser le modèle traditionnel de supériorité aérienne centré sur des avions de combat piloté de très haute technicité, comme peut l’être, aujourd’hui, le F-22 Raptor, et comme devait l’être le NGAD.
La guerre en Ukraine montre que le pilote est le point faible de la puissance aérienne lors d’une guerre de haute intensité.
De fait, l’élévation de la menace sur les avions de combat aurait, dorénavant, dépassé le seuil de soutenabilité pour conduire une guerre aérienne de haute intensité dans la durée, dans l’analyse de l’US Air Force. Et il semble bien que ce soit le pilote qui, dans cette analyse, représenterait le plus gros point faible de la doctrine actuelle.
Cette faiblesse a particulièrement été mise en évidence, ces dernières années, par la guerre aérienne en Ukraine. Ainsi, si les forces aériennes ukrainiennes ne paraissent pas manquer de ressources pour recevoir de nouveaux avions de combat livrés par les pays européens, c’est autrement difficile pour ce qui concerne les équipages devant les mettre en œuvre.
En effet, là où il ne faut qu’un à trois ans, pour produire un avion de combat moderne, et que les infrastructures industrielles permettent d’en produire plusieurs dizaines chaque année, y compris en Europe, la formation d’un pilote de chasse expérimenté, susceptible de mettre en œuvre efficacement ces appareils, ne peut être réduite à moins de 3 ans pour un pilote débutant, et à six ou sept ans, pour effectivement former un pilote de combat pleinement opérationnel.
En outre, les exigences physiques, psychologiques et cognitives, requises pour devenir un pilote de chasse efficace, sont encore plus exigeantes, aujourd’hui, qu’elles ne l’étaient auparavant. De fait, quand l’Ukraine a perdu la presque totalité de ses cadres pilotes, lors des premiers mois de la guerre, elle a aussi perdu 7 à 10 ans, voire davantage, de savoir-faire et de compétences, dans ce domaine.
Dans ces conditions, l’équation permettant de déployer une force aérienne militaire, et de l’engager au combat dans la durée, est devenue beaucoup plus difficile à équilibrer.
D’une certaine manière, l’US Air Force craint, ici, de se retrouver, face à la Chine, dans une situation comparable à celle rencontrée par la Luftwaffe et les forces aériennes et aéronavales japonaises à partir du milieu de 1943, après qu’elles eurent perdu une grande partie de leurs pilotes expérimentés d’avant-guerre.
Une situation que l’US Air Force, elle-même, a touché du doigt, à la fin des années 60 et au début des années 70, lorsqu’elle perdit, au combat au Vietnam, et par non-renouvellement des contrats, une grande partie de ses pilotes de chasse expérimentés.
Rappelons enfin que, d’un point de vue technique, l’ensemble des systèmes destinés à assurer la survie et l’IHM (Interface Homme Machine), à bord d’un avion de combat, ainsi que les limitations propres au corps humain, engendrent de nombreuses contraintes dans la conception et la mise en œuvre de ces appareils.
Le tempo technologique et opérationnel chinois bouleverse la planification du Pentagone
Si le pilote, ou plutôt son remplacement, représentent, l’axe de progression capacitaire privilégié pour l’US Air Force, c’est cependant le tempo technologique et opérationnel, imposé par la Chine et l’Armée Populaire de Libération, qui est au cœur du profond bouleversement qui se dessine outre-Atlantique.
De l’aveu même de Frank Kendall, il est impossible, aujourd’hui, d’imaginer les systèmes de déni d’accès qui seront déployés par l’APL, dans les années à venir. Et si la vision demeure encore relativement fiable à cinq ou dix ans, au-delà, elle devient parfaitement floue.
Ce nouveau tempo renverse radicalement celui de la planification traditionnelle des avions de chasse américains. En effet, depuis les années 70, ces appareils sont conçus pour rester en service plusieurs décennies, grâce à des évolutions successives, sans qu’il soit nécessaire de les remplacer tous les 15 ou 20 ans, comme c’était le cas au cours des années 50 ou 60.
De fait, les F-15, F-16, F-18 et autres F-22, entrés en service entre 1975 et 2010, sont toujours en service, et continuent de représenter le gros de la flotte de chasse américaine et occidentale, tout comme les Mirage 2000, Gripen, et autres eurocanards.
C’est précisément sur ce paradigme que semble, dorénavant, se porter la réflexion de l’US Air Force, et probablement aussi, de l’US Navy, concernant le programme NGAD ou F/A-XX. Dès lors, le manque de visibilité technologique à moyenne échéance, imposé par un tempo technologique chinois très rapide, interdit à présent de concevoir des appareils sur des délais d’une ou deux décennies, comme ce fut le cas pour le F-35, ainsi que de planifier efficacement leur évolutivité sur 30 ou 40 ans.
On notera, au passage, que ce constat était au cœur de la Digital Century Series préconisée par le Dr Roper, lorsqu’il annonçait vouloir ramener la durée de vie des chasseurs américains à seulement 15 ans, avec des appareils plus spécialisés, et produits en petites séries, dans un tempo technologique largement accéléré.
Une révolution doctrinale et technologique copernicienne qui ira bien au-delà de l’US Air Force, et des États-Unis
Non seulement l’US Air Force fait, aujourd’hui, face à des réelles incertitudes quant aux capacités sont le NGAD devrait être doté, pour être efficace lors de son entrée en service et les vingt années à suivre, mais elle manque d’expérience et de recul, pour ce qui concerne la mise en œuvre d’appareils non pilotés, perçus comme la solution au déni d’accès chinois présent et futur.
On comprend, dans ces conditions, à quel point le programme CCA peut s’avérer, effectivement, prioritaire sur le programme NGAD, surtout dans un contexte budgétaire contraint.
Celui-ci représente, en effet, une première réponse au défi chinois, et il conférera, aux forces aériennes US, Air Force comme Navy, une bien meilleure perception du potentiel et des contraintes liés à la mise en œuvre de ces drones de combat, contraintes qui pourront, potentiellement, être paliers, si nécessaire, par l’arrivée ultérieure d’un appareil piloté dans le cadre du programme NGAD.
Bien évidemment, cette transformation radicale de la conception même de la flotte de chasse américaine, ne se fera pas sans heurts et sans résistance, en particulier, celle des pilotes de chasse, eux-mêmes. Non sans raison d’ailleurs. En effet, la charge de travail dans un cockpit, aujourd’hui, peut rendre difficile d’imaginer que la technologie est suffisamment mature pour éliminer le pilote de l’équation.
Qui plus est, l’US Air Force, et les armées américaines en général, ont fait, à de nombreuses reprises, ces dernières années, la démonstration de leurs ambitions technologiques excessives, dans des programmes finalement avortés ou au budget devenu pléthorique, ceci venant modérer les pressions en faveur d’un basculement aussi radical, qui plus est, sans filet de sécurité.
Les programmes européens SCAF et NGAD sont-ils déjà obsolètes ?
Si la révolution qui se dessine, outre Atlantique, demande encore à être confirmée, technologiquement, militairement ainsi que politiquement, il est incontestable, cependant, que les constats qui lui ont donné naissance, demeurent bel et bien valides.
Dès lors, s’ils s’appliquent aux programmes NGAD et F/A-XX d’avions de combat de 6ᵉ génération américains, on peut s’interroger sur l’avenir des programmes de même type, dans le monde, et en particulier en Europe.
Rappelons que deux programmes similaires sont en cours en Europe : le programme NGAP qui rassemble la Grande-Bretagne, l’Italie et le Japon, et qui vise à concevoir un nouvel avion de combat, le Tempest, à horizon 2035, et le programme SCAF, mené par la France, l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique, qui veut concevoir un second chasseur, le NGF, ainsi qu’un ensemble de technologies et l’environnement de combat pour le mettre en œuvre, pour 2040.
Or, comme leurs homologues américains, les programmes européens reposent sur des paradigmes hérités des décennies passées, avec des délais de développement de 10 à 15 ans, des appareils au cout unitaire élevé, et un effort particulier porté sur l’évolutivité. En outre, l’un comme l’autre, est conçu avec un recul limité en matière de drones de combat.
Ainsi, si la France et l’Allemagne ont chacune lancé, cette année, un programme pour concevoir un drone de combat de type Loyal Wingman, pour accompagner les Rafale F5 et Typhoon Tranche III/IV, au début de la prochaine décennie, ces programmes ne permettront d’obtenir le recul opérationnel nécessaire pour influencer directement le programme SCAF, conçu simultanément.
De fait, se pose la question du bienfondé du calendrier du programme européen SCAF, et de son jumeau, le GCAP. On peut particulièrement se demander si leurs calendriers ne sont pas trop longs, pour developper un appareil piloté répondant aux critères actuels de la 5ᵉ génération, mais devant, pour être efficace, entrer en service beaucoup plus rapidement, et trop court, pour efficacement intégrer les retours d’expérience des programmes de drones de combat français et allemands ?
Surtout, force est de constater que ces programmes demeurent lourdement empreints des doctrines et paradigmes industriels et technologiques hérités des années 80 et 90, ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, sont radicalement remis en question par les États-Unis, face au tempo technologique imposé par la Chine.
Article du 22 juillet en version intégrale jusqu’au 7 octobre
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