Comme toujours, les chiffres accompagnant la communication russe autour d‘un exercice majeur, peuvent impressionner, ainsi que sa dimension internationale, avec notamment la participation de la Marine chinoise.
Toutefois, ces chiffres masquent, dans de nombreux cas, une Marine russe en perte rapide de moyens et de compétences, qui peine à se renouveler dans certains domaines, et dont les arbitrages structuraux sont remis en question par la réalité des combats en Ukraine, mais qui, dans d’autres domaines, se révèle effectivement redoutable d’efficacité.
Que vaut donc, objectivement, la Marine russe aujourd’hui ? Doit-on la craindre, en occident, et dans quelle mesure est-elle une menace pour la sécurité européenne ? Comme souvent, la réponse à cette question ne peut pas se résumer en quelques mots seulement.
Exercice Ocean-2024 : Moscou annonce une démonstration de forces de la Marine russe du Pacifique à la Baltique
Depuis le lancement de l’exercice Ocean-2024, les médias russes internationaux, comme les agences de presse du pays, se veulent dithyrambiques autour des moyens déployés par les VMF, la Marine russe.
Ainsi, selon la communication officielle du Kremlin, l’exercice rassemblerait 400 unités navales, 125 avions de combat, 7500 équipements militaires et 90.000 hommes. Outre la flotte du Pacifique, basée à Vladivostok, les flottes de la Caspienne, de la mer Noire et de la Baltique, participent également à cet exercice, ainsi que des unités navales déployées en Arctique et en Méditerranée.
Enfin, Moscou insiste, dans sa communication au sujet d’Ocean-2024, sur la participation de l’Armée Populaire de Libération, seule nation alliée à y avoir dépêché des moyens militaires, en l’occurrence, 3 navires et 15 avions, ce qui reste très modeste pour la Marine chinoise. Il semblerait, enfin, que 15 pays, non cités nommément, aient envoyé 32 observateurs internationaux pour suivre Ocean-2024.
De prime abord, donc, les chiffres avancés par Moscou peuvent impressionner. Ils sont faits pour cela, même s’il faut, pour y parvenir, exagérer quelque peu le trait. Ainsi, il convient de rappeler qu’aujourd’hui, la surpuissante US Navy, disposant d’un potentiel opérationnel incomparable avec la Russie, n’aligne pourtant que 382 navires de guerre dans son inventaire, et la Chine, seconde marine mondiale, un peu plus de 450.
La Marine russe, elle, aligne 418 unités navales, mais un tiers de ces navires est constitué de patrouilleurs légers, opérés par traditionnellement par les Gardes Cotes dans de nombreux pays, ainsi que de remorqueurs portuaires et de barges de débarquement, non décomptés par les autres forces navales. En outre, elle fait face, depuis de nombreuses années, à une très faible disponibilité de ses navires, ne lui permettant de déployer guère plus de quelques dizaines de navires à la mer simultanément.
De fait, il est fondamentalement impossible que 400 unités navales militaires russes aient pu être mobilisées pour participer à cet exercice, et il serait même surprenant que plus d’une cinquantaine de grandes unités navales y participent.
Les photos publiées par les médias russes ne montrent, d’ailleurs, pas une autre vérité, avec des flottilles relativement réduites, et composées essentiellement de corvettes et de navires légers, entourant une ou deux frégates ou destroyers.
Il convient donc de prendre avec beaucoup de réserve les chiffres avancés par la communication russe, concernant l’exercice Ocean-2024, et plus généralement, au sujet du potentiel opérationnel des VMF.
Mais que vaut, aujourd’hui, réellement, la Marine russe ? Et dans quelle mesure représente-t-elle un adversaire potentiel crédible, pour les États-Unis et le Japon, dans le pacifique, et pour les Marines européennes, dans l’Atlantique et en Méditerranée ? Pour répondre à cette question, il convient de décomposer la Marine russe en plusieurs capacités spécifiques : sa flotte stratégique, sa flotte sous-marine, sa flotte de surface de haute mer, et sa flotte côtière. Comme nous le verrons, selon le point de vue retenu, les résultats peuvent être très différents.
La flotte sous-marine stratégique russe demeure l’atout premier de la Marine russe
Comme les quatre autres pays membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unis, la Marine russe dispose d’une flotte sous-marine stratégique. Héritée de l’époque soviétique, celle-ci se compose de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SSBN, dont la fonction est d’assurer la capacité de seconde frappe nucléaire du pays.
Aujourd’hui, la flotte stratégique russe se compose de 12 SSBN. Cinq d’entre eux sont de la classe projet 667BDRM Delfin, désignés par l’OTAN sous le nom de Delta IV. Ces navires de 13.500 tonnes en surface, 18 200 t en plongée, sont entrés en service de 1985 (K-51 Verkhoturye) à 1990 (K-407 Novomoskovsk). À partir de 2007, ils ont été modernisés pour mettre œuvre 16 missiles balistiques C29MRU Sineva d’une portée de 8 500 km emportant 4 MIRV chacun.
Ces sous-marins seront remplacés, d’ici à la fin de la décennie, par les 7 derniers SSBN du projet 955A Boreï-A. Ils viendront alors renforcer les 4 Boreï-A déjà en service, ainsi que les 3 Projet 955 Boreï initiaux, entrés en service en 2013 et 2014.
Bien plus modernes et silencieux que les Delta IV qu’ils remplacent, les Boreï-A sont des SSBN de 124 mètres et 24,000 tonnes en plongée, emportant chacun 16 missiles balistiques RSM-56 Bulava d’une portée supérieure à 9000 km, armés de 6 MIRV et dotés d’une précision bien supérieure à celle de ses prédécesseurs, ainsi que de systèmes défensifs.
Initialement, l’objectif annoncé par Vladimir Poutine visait une flotte de 12 SSBN Boreï et Boreï-A pour 2030. En 2018, celui-ci annonça cependant la construction de 2 unités supplémentaires, portant la flotte à 14 navires, ce qui en ferait la plus importante flotte sous-marine stratégique de la planète en nombre de navires, suivie par l’US Navy, avec 12 SSBN Columbia/Ohio, la Chine avec 6 Type 094 en service, 8 prévus et probablement, à terme, une flotte à 12 navires à parité des États-Unis, suivis de la Grande-Bretagne et la France, avec 4 SSBN classe Vanguard et le Triomphant, et l’Inde, avec deux SSBN.
La flotte sous-marine russe se renouvelle et demeure une menace
Comme c’était le cas lors de la guerre froide, la flotte sous-marine tactique de la Marine russe, représente toujours un adversaire de taille, de l’avis même de l’US Navy. Contrairement aux flottes américaines, britanniques et françaises, exclusivement composées de sous-marins à propulsion nucléaire, les VMF ont fait le choix de disposer, à la fois, de navires à propulsion nucléaire et à propulsion conventionnelle.
12 sous-marins nucléaires d’attaque Akula, Sierra et Viktor 3
La flotte de sous-marins à propulsion nucléaire se compose, elle-même, de deux familles de navires. Les 12 sous-marins nucléaires d’attaque SSN, deux projet 945A Sierra, deux projet 971RTMK Victor 3, 6 Projet 971l et deux Projet 971U Akula (plus un en réserve), ont principalement pour mission la chasse aux sous-marins adverses, en particulier les SSBN de l’OTAN. On parle alors de hunter killer (oui, c’est de là que vient le nom du film)
Tous ces navires ont été conçus à l’époque soviétique, et sont entrés en service de 1990 à 1995, à l’exception des deux derniers Akula 971U, entrés en service en 1996 et 2000. Ils sont armés de torpilles lourdes ASM, mais peuvent également, à l’occasion, lancer des missiles de croisière ou missiles antinavires Kalibr par leurs tubes lance-torpilles. Bien que datés, les Akula demeurent des sous-marins discrets, rapides et très capables, tout comme les Sierra et Viktor 3, mais dans une moindre mesure.
11 sous-marins nucléaires lance-missiles classes Anteï et Yasen/M
La Marine russe met également en œuvre 11 sous-marins nucléaires lance-missiles, ou SSGN. Sept d’entre eux appartiennent au projet 949A Anteï, code OTAN Oscar 2, des navires de 155 mètres et 19,000 tonnes en plongée, armés de 6 tubes lance-torpilles, et surtout de 24 tubes de lancement vertical armés de missiles de croisière supersoniques antinavires P-700 SS-N-19 Shipwreck, d’une portée de plus de 600 km, et transportant une charge militaire conventionnelle de 750 kg.
Entrés en service à la fin des années 80 et au début des années 90, les Anteï sont aujourd’hui remplacés par les SSGN du projet 885M Yasen, dont trois exemplaires sont déjà en service, en plus de l’unique projet 885 Yasen, le K-560 Soverodvinsk.
Longs de 130 m pour un déplacement en plongée de 13 800 tonnes, les 12 Yasen / M vont remplacer les SSN les plus anciens, y compris certains Akula, ainsi que les SSGN Oscar 2. Chaque navire met en œuvre 10 systèmes VLS de lancement vertical pouvant accueillir chacun 4 missiles de croisière Kalibr ou 3 missiles antinavires supersoniques P-800 Oniks. Il pourra également mettre en œuvre le missile hypersonique 3M22 Tzirkon, probablement à raison de trois par VLS, comme pour les Oniks.
Si les SSN Akula ou Sierra russes ont avant tout une mission de hunter killer, la mission principale des SSGN russes est d’attaquer, par une frappe massive et saturante, les grandes formations navales de l’OTAN, et plus spécialement les grandes unités navales comme les porte-avions et les porte-hélicoptères amphibies.
Réputés rapides et discrets, ces navires représentent une véritable menace pour les flottes de l’OTAN, en particulier concernant la liaison transatlantique, mais aussi en Méditerranée, dans laquelle patrouillent régulièrement des Oscar 2. Ensemble, les SSN et SSGN russes représentent, aujourd’hui, la plus importante menace russe en haute mer, pour les marines occidentales.
21 sous-marins à propulsion conventionnelle Kilo, Improved-Kilo et Lada
Si la Marine russe dispose de la seconde flotte mondiale de sous-marins à propulsion nucléaire, avec 35 navires, derrière les 59 sous-marins américains, mais largement devant les 11 britanniques et les 10 français, elle dispose également de la seconde flotte sous-marine conventionnelle, avec 21 navires, ne cédant qu’aux 45 sous-marins de la Marine chinoise dans ce domaine.
Cette flotte se compose de 8 sous-marins projet 877 Kilo hérités de l’époque soviétique, de 11 des 18 projet 636.3 Improved Kilo devant être livrés (plus le B-237 Rostov sur le Don détruit à quai en mer Noire), et d’un unique projet 677 Lada, 10 devant encore être livrés.
Ces navires sont beaucoup plus compacts et légers que les sous-marins nucléaires, avec une longueur de 65 à 72 mètres, et un déplacement en plongée de 2300 à 2700 tonnes. Ils ont, par ailleurs, un équipage réduit (35 hommes), et coutent beaucoup moins cher à construire (200 m$ pour un improved Kilo).
En revanche, ces sous-marins conventionnels ne disposent pas de l’allonge, de la vitesse ou de l’autonomie nécessaire pour mener les missions océaniques. Ils sont donc principalement employés au sein des flottes des mers étroites (Baltique, Noire), ou pour protéger les zones côtières au-dessus du plateau continental russe, au sein de la flotte du Nord (Mourmansk) et du Pacifique (Vladivostok).
Les Improved-Kilo et les Lada disposent, comme les Akula, de la capacité de lancer des missiles de croisière Kalibr, même si le nombre de munitions embarquées se limite à quelques exemplaires.
Si les sous-marins classiques russes ne représentent pas une menace importante pour le trafic transatlantique ou océanique, ils peuvent, en revanche, se montrer de redoutables adversaires pour neutraliser la navigation en mer Baltique ou en Méditerranée, y compris contre les grandes unités navales de l’OTAN qui y croisent.
Très discrets par nature, ils complètent efficacement la flotte sous-marine tactique russe, et participent à la protection des côtes et alentours des bases navales russes, en particulier de l’incursion de sous-marins adverses.
Fin de la première partie – Lire la seconde partie
Article du 11 septembre en version intégrale jusqu’au 14 octobre
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نشر الخبر اول مرة على موقع :meta-defense.fr بتاريخ:2024-10-11 18:24:00
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